Le syndicat pour la défense de l’acupuncture traditionnelle

Comme annoncé au début de l’été, nous continuons notre série explicative concernant l’Acupuncture Traditionnelle.

Le précédent article nous a permis de faire le point sur la pratique en France de « l’Acupuncture médicale ». A présent, il est temps de réfléchir aux différences entre l’enseignement de l’Acupuncture Traditionnelle, et l’enseignement de la « MTC » (Médecine Traditionnelle Chinoise) en France.

Car en tant que Syndicat de défense de l’Acupuncture Traditionnelle, il nous semble essentiel (et il nous tient à cœur) de bien définir « d’où l’on parle » !

Les deux pratiques comportent dans leur intitulé le même terme : « Traditionnel ».

Et pourtant, à bien y regarder, que de différences…

Le terme « Médecine Traditionnelle Chinoise » a été forgé en Chine dans la décennie 1950, par le pouvoir de l’époque. Lancé dans un élan révolutionnaire clamant vouloir faire « table rase du passé », ce pouvoir avait dans un premier temps voué aux gémonies la médecine ancestrale chinoise et interdit son exercice, dénonçant son passéisme, son attachement à la spiritualité taoïste, voyant notamment dans ses liens avec l’alchimie, dans son naturalisme et son animisme autant de superstitions incompatibles avec le « matérialisme historique » prôné par le Parti Communiste. Les « Quatre vieilleries » de Mao Zedong : Idées, Culture, Coutumes et Habitudes d’avant 1949, devaient être pourchassées, jusque dans l’exercice de la médecine.

Dans ce contexte, nombre de médecins ont alors émigré, d’autres se sont cachés, d’autres encore ont eu à subir les actes du régime maoïste.

Las ! quelques années plus tard, confronté à des conditions sanitaires délétères et au manque de soignants, ce même pouvoir a été contraint d’opérer en partie une volte-face. En imposant, néanmoins, son empreinte idéologique sur la formation des médecins voués à prendre la relève.

En parallèle de la formation (sur le tas) de la génération dite des « médecins aux pieds nus », un important travail de purge, de choix, de codification et d’unification des enseignements fut alors opéré, et une nouvelle « discipline » fut officiellement créée, opérant un pont entre la médecine dite « moderne » qui se développait notamment en Occident depuis la fin du 19ème siècle, et les savoir-faire chinois ancestraux, notamment dans le domaine de la Pharmacopée.

La « Médecine Traditionnelle Chinoise » était née, « débarrassée de son ésotérisme de bazar » (pour reprendre les mots du fondateur d’une des principales écoles de MTC en France !).

En France, son introduction au grand public se fera quelques dizaines d’années plus tard (paru en 1983, l’ouvrage « le diagnostic en Médecine Chinoise » de Bernard Auteroche et Paul Navailh servira ainsi de référence pour la formation dans de nombreuses écoles de « MTC » qui commençaient à se créer), dans un paysage jusqu’alors dominé par des enseignements plus anciens : la France a en effet été un des pays pionniers en Occident dans l’importation de la Tradition Médicale Chinoise, dans son introduction à l’hôpital dès la première moitié du XXème siècle, dans la traduction des textes classiques de l’Acupuncture, et dans la constitution d’écoles enseignant l’Acupuncture Traditionnelle (cf. Article été 2025, SYLAT)

Faisant la part belle et se fondant principalement sur des raisonnements qui sont ceux à la base de l’exercice du soin par la pharmacopée, cette nouvelle discipline appelée « MTC » raisonnera avant tout par « syndromes ». En correspondance toujours avec la médecine occidentale, elle fera la part belle à la « théorie des organes », délaissant grandement ce faisant la théorie des méridiens…

La principale force de la MTC reposera sur l’utilisation de la pharmacopée, voyant la majorité des cas l’utilisation des aiguilles comme un complément à celle-ci, et voyant l’acupuncture comme une discipline moins précise et moins « prestigieuses » que la discipline Reine.

Ainsi aujourd’hui, dans les cursus universitaires Chinois, la formation des médecins généralistes de MTC est principalement orientée vers :

  • la différentiation des syndromes (Biàn Zhèng),
  • la prescription de formules classiques et modernes,
  • l’intégration de la médecine occidentale de base (examens cliniques, imagerie, pharmacologie occidentale).

L’acupuncture quant à elle intervient principalement en traitement symptomatique (douleurs, paralysies, rééducation post-AVC, etc.) …

Certes, cette façon de considérer que la pharmacopée est la « discipline Reine » de la médecine ne date pas du XXème siècle : on ne compte plus, dans le courant des 20 derniers siècles, les ouvrages classiques d’acupuncture déplorant cette approche et regrettant une « perte des savoirs en acupuncture ». On en oublierait presque que le Classique des Classiques, le Huang Di Nei Jing, est à 95% un ouvrage d’acupuncture !

A l’occasion de cette codification opérée lors de la création de ladite « Médecine Traditionnelle Chinoise », un pas de plus est franchi, avec l’établissement de ses « syndromes », et avec une volonté de systématisation des « formules de points » transposant en acupuncture les effets attendus des différentes formules de pharmacopées, et réduisant au passage considérablement les nombre de points effectivement utilisés par les acupuncteurs.

Et ce n’est pas tout, car de nombreux autres changements, au regard de la Tradition, ont été opérés dans l’approche de l’acupuncture. Et l’acupuncture qui est enseignée dans les écoles de MTC depuis cette époque, soucieuse de paraître « moderne », de ne pas être accusée de « superstition », semble avoir rompu nombre d’attaches avec le taoïsme et avec les livres classiques.

Dans la très grande majorité des écoles, en France comme en Chine, on n’enseigne plus (ou si peu) le Hetu et le Luo Shu, on aborde les « vaisseaux extraordinaires » uniquement sous l’angle d’une symptomatologie simplifiée, on n’apprend pas à raisonner sur les liens entre l’acupuncture et le Yi Jing, on n’enseigne quasiment plus les façons d’aider l’Homme à se conformer aux ordres de la Terre et du Ciel au travers des calculs des Troncs Célestes et des Branches Terrestres… Même la théorie des cinq mouvements est extraordinairement simplifiée, alors que sa richesse d’utilisation en Acupuncture, en fonction du bilan énergétique mais aussi des saisons, des années, des différents cycles, est d’une richesse extraordinaire ! Le raisonnement par « tropismes » revient ainsi parfois à simplifier d’une façon extraordinaire le contenu des chapitres 4 et 5 du Su Wen

Et si l’on cite volontiers Sun Si Miao, son approche des points « des revenants » est soigneusement évitée, on pourrait même dire sacrifiée sur l’autel de la modernité – alors que leur utilisation pour tous types de troubles émotionnels s’avère, dans la pratique, d’une efficacité redoutable !

Cette liste importante de « modernisations » n’est pas exhaustive, et ce qui en ressort principalement, c’est un éloignement toujours plus important de la pensée qui irrigue pourtant tout le Huangdi Nei Jing : à savoir que la seule vraie clé de la santé consiste dans un alignement constant, et toujours en mouvement, de l’Homme « entre le Ciel et la Terre » … Cette pensée semble avoir été délaissée au profit d’une approche « occidentalisée », et bien plus matérialiste, de l’acte du soin.

L’enseignement de la MTC donne ainsi parfois l’impression que les citations du Su Wen et du Ling Shu émaillant les cours tiennent plus d’une attache sentimentale, que d’une lecture attentive de ces classiques ! Ce qui fera dire à feu Jean-Louis Blard, éminent praticien et professeur d’Acupuncture Traditionnelle, que « La Tradition, c’est tout ce qu’il y a avant 1953 » !

Et, par un curieux retournement de perspective, on constate aujourd’hui en France que l’application de ces enseignements d’avant les années 1950 pourra être qualifiée par certains tenants de la MTC de… « New Age ».

Cela étant dit, ces différences importantes entre Acupuncture Traditionnelle et MTC, peuvent tout de même être nuancées.

En premier lieu, en notant que depuis près de deux mille ans, deux façons (au moins) d’envisager l’acupuncture ont cohabité et ont évolué parallèlement :

  • une branche n’ayant jamais reniées les origines chamaniques de la médecine, ayant intégré au fil du temps de nombreuses connaissances alchimiques, à l’image de ce qu’a légué à la postérité le lettré Ge Hong (283-343), liée de près à l’astronomie, et qui dans nos temps modernes a pu être représentée par des acupuncteurs tels que Wu Wei Ping ou encore par Leung Kok Yuen, et en France par des maîtres tels que Charles Laville Méry ou encore Jacques André Lavier, ou encore par l’Ecole Européenne d’Acupuncture ;
  • et une branche s’étant spécialisée au fil des siècles et des traités médicaux dans la pharmacologie principalement, qui d’une certaine façon a abouti à la MTC d’aujourd’hui.

Ainsi, l’approche qui est celle de la MTC aujourd’hui ne peut pas être considérée comme entièrement « nouvelle » (si l’on fait exception de l’usage de ses « syndromes » appliqués à l’Acupuncture). Cependant, on pourra regretter que semblant répéter la radicalité de celui qui était le chef du Parti Communiste Chinois, certains voudraient aujourd’hui être considérés comme les tenants de la seule acupuncture « efficace », car basée sur un rationalisme scientifique. Et sur le « marché de la formation » d’aujourd’hui, le dénigrement de « l’autre branche » est couramment pratiqué, contribuant à une forme d’effacement de l’Acupuncture Traditionnelle…

En second lieu, en rappelant que l’apprentissage de la Médecine Chinoise est bien plus long et complexe que les 3, 4 ou 5 ans des « formations initiales » dispensées dans les écoles. Et comment s’étonner que l’Acupuncture ne soit que survolée dans nombre d’écoles (certaines allant jusqu’à ne pas exiger de ses élèves de connaître l’ensemble des points d’acupuncture, mais seulement ceux qu’elle considèrera comme les « plus importants » !), alors que l’apprentissage de la pharmacopée nécessiterait à elle seule des dizaines de milliers d’heures, que l’on prétend enseigner « en même temps » dans ces cursus les mobilisations articulaires, le Tuina, et dans certaines écoles, le Qi Gong ? On se trouve là devant une quadrature impossible…

Dès lors, il serait nécessaire d’être plus transparents, notamment vis-à-vis de l’étudiant cherchant la formation initiale correspondant à ses souhaits : non, à l’issue d’un cursus dans une école de MTC, un étudiant diplômé n’est pas assez formé en acupuncture pour l’exercer de façon optimale, et ne saurait être au même niveau qu’un étudiant issu d’une école d’Acupuncture Traditionnelle ayant consacré 4 années pleines à sa seule étude. Et bien entendu, à l’issue d’un cursus en Acupuncture Traditionnelle, un praticien ne saurait prétendre avoir acquis une expertise en matière de Tuina ou de pharmacopée (ni une connaissance des textes à la base de cette dernière discipline)…

Mais après le « diplôme initial », chacun pourra approfondir, dans le cadre d’une formation continue bien construite, qui les bases de l’acupuncture traditionnelle (les techniques avancées de poncture, l’étude approfondie des méridiens et de l’ensemble de leurs branche et leurs pathologies respectives propres, différentes des syndromes codifiés par la MTC, l’étude détaillée des traitements par les cinq mouvements, l’étude détaillée des Merveilleux Vaisseaux, ou encore l’étude du Huangdi Nei Jing, du Yi Jing, l’étude des Troncs Célestes et Branches Terrestres et ses utilisations en Acupuncture, etc.), qui les bases de la pharmacopée chinoise ou encore de l’utilisation des plantes vivantes sous nos latitudes, qui les techniques de Tuina, etc.

Tout le monde aurait intérêt à ces clarifications : l’étudiant bien entendu, pouvant mieux se diriger dans la jungle des formations, les patients ensuite, n’étant plus pris en charge par des professionnels appliquant certaines techniques qu’ils maîtrisent de façon trop insuffisante (ne serait-ce que les techniques des 5 mouvements, qui appliquées de façon incorrectes reviennent à disperser ce qu’il y aurait à tonifier, et tonifier ce qu’il y aurait à disperser !) ; et enfin, les praticiens eux-mêmes, qui seraient plus conscients de leurs voies d’amélioration et plus clairs dans leur présentation de leurs disciplines…

Et enfin, troisième nuance à mon propos, il est bon de rappeler qu’y compris en Chine, la « MTC » n’est pas uniforme. Les soins pratiqués au sein des officines, et ceux pratiqués à l’Hôpital, sont de natures très différentes, et ce à commencer par la façon dont les bilans sont posés (par exemple, la place accordée à l’examen des pouls).

Il faut avant tout savoir qu’avant les années 1950, et ce depuis des siècles, les « écoles » telles que nous les envisageons aujourd’hui étaient peu nombreuses en Chine. Cette médecine était (et reste encore à bien des égards) le fruit d’un enseignement traditionnel « par lignées », souvent par familles, où la relation maître-apprenti était une relation forte (et se construisant progressivement au fil de décennies d’apprentissage). Il était possible d’apprendre auprès de tel ou tel professeur « de la 13ème génération », etc. Ces lignées, ces familles étaient nombreuses, portant les spécificités des histoires et des traditions propres à chaque région de cet immense Empire.

Les savoirs, mais également les secrets, se transmettant de cette façon, il est fort possible qu’un certain nombre de savoir-faire aient été perdus lors de la Révolution Culturelle. Mais il est également certain que certaines lignées ont survécu à ces temps orageux…

L’Acupuncture, et la Médecine Chinoise, est un monde vaste et divers. Ainsi, il ne faut se laisser leurrer ni par ceux qui prétendraient en détenir la « vraie approche », ni encore moins, par ceux qui prétendraient que la pratique hospitalière en Chine serait un « Graal », confondant ainsi reconnaissance institutionnelle, et qualité des soins ! Et si même à l’hôpital en Chine on trouvera des professeurs de très grande qualité et des praticiens expérimentés, la médecine « Traditionnelle » reste dans le milieu hospitalier chinois une voie peu prestigieuse, n’attirant pas forcément les meilleurs étudiants.

Alors, que retenir, à l’issue de ce long rappel explicatif des différences les plus notables entre deux disciplines utilisant ce même vocable, « Traditionnel » ?

On ne saurait nier que les enseignements en MTC ont dans leur socle les traditions taoïstes chinoises. Toute école sérieuse de MTC demandera à ses futurs élèves, avant même de débuter sa formation, de se plonger dans « La Pensée Chinoise » de Marcel Granet ou d’autres ouvrages équivalents, leur recommandera de lire le Dao De Jing, et enseignera dans ses cours de théorie fondamentale des bases permettant d’aborder le Yin/Yang, les cinq mouvements, les « démembrements » théoriques du Qi, etc.

Mais une école d’Acupuncture Traditionnelle, qui dans le même laps de temps pendant lequel une école de MTC proposera des enseignements en pharmacopée, Tuina etc, concentrera l’ensemble de ses enseignements sur l’Acupuncture et la Moxibustion (« l’art des Aiguilles et du Feu », Zhen Jiu Fa)  sera portée à très nettement approfondir ces notions et bien d’autres encore, à creuser le langage symbolique sur lequel cet art se fonde, à approfondir nombre d’aspects plus complexes du Huangdi Nei Jing, dont les Wu Yun Liu Qi (base de la chrono-poncture), etc. , en même temps que l’acte même de la poncture, et la relation thérapeutique qui se noue autour de cet acte.

M. Laville-Mery se plaisait à dire : « l’acupuncture est la partie émergée de l’iceberg. Les deux tiers invisibles sont les lois, chemins, signes qui permettent à celui qui cherche d’avoir une réponse appropriée à son questionnement ».

La notion de « Tradition » prendra en Acupuncture Traditionnelle une connotation plus nettement anthropologique, que n’aurait pas reniée René Guénon, et des représentations fondamentales tels que « l’Homme faisant face au Sud, regardant d’abord le Ciel, puis la Terre, pour ensuite s’occuper des affaires humaines », y trouveront toute leur place dans l’exercice de l’Acupuncture au sein de son cabinet. Le Ming Tang, le Luo Shu, le raisonnement par analogie propre à la pensée chinoise seront ses outils au quotidien, et l’art de la pulsologie chinoise sera au centre de sa pratique.

En conclusion de cet article, il n’est pas inutile de rappeler son objectif initial : donner à voir ce que les formations initiales en Acupuncture et en MTC proposent respectivement aux étudiants, leurs origines, leurs fondements, leurs forces respectives.

Mais fort heureusement, l’étude de ces arts thérapeutiques ne s’arrête pas au jour de l’obtention du diplôme ! Les praticiens de grande qualité, ayant cherché à approfondir leurs savoirs, ayant remis en cause et amélioré leurs pratiques par la recherche, le compagnonnage et la formation continue, permettent de rendre mouvantes les frontières tracées au long de cet article.

Et quant à nous, en tant que Syndicat de défense de l’Acupuncture Traditionnelle, nous ne saurions mieux vous conseiller que de venir découvrir ou redécouvrir les ouvrages fondamentaux en Acupuncture tels que la « Bio-energétique » de Duron, Laville-Mery et Borsarello, le « Traité didactique » de Faubert, le court classique « Médecine Chinoise, Médecine Totale » de Lavier, de vous renseigner sur les travaux de Soulié de Morant (« L’acupuncture Chinoise »), de Chamfrault et de Van Nghi (« L’énergétique Humaine en Médecine Chinoise »), etc…

Et bien entendu, de vous rendre sur notre page « Formations » afin de vous inscrire à des stages de perfectionnement.

L’acupuncture est un monde si vaste, travaillons ensemble à perpétuer cet Art !

L’équipe du SYLAT.

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