L’article que nous vous présentons ce mois-ci sera le premier d’une série : en effet, en tant que Syndicat de défense de l’Acupuncture Traditionnelle, il nous semble essentiel (et il nous tient à cœur) de bien définir « d’où l’on parle ».
Eh oui, combien de débats, d’interrogations, combien de peurs quant à la question de la « légalité » de l’exercice de l’art de l’acupuncture en France…
La question est récurrente, et importante. Ainsi, certains d’entre nous ont eu à faire l’objet d’enquêtes, ont eu à se défendre contre des accusations « d’exercice illégal de la médecine », ont dû se faire accompagner d’avocats…
Et partant, ont eu à expliquer devant la justice tout ce qui distingue l’ « art des aiguilles et du feu » (Zhen Jiu Fa) de l’acupuncture médicale telle qu’elle est décrite dans les documentations officielles françaises, et telle qu’elle est pratiquée en France.
Prenons, avant toute chose, un court un instant pour déplorer ceci : il existe encore, en France, des sources (telles Wikipedia), ou des voix pour pratiquer la désinformation en présentant ainsi l’acupuncture :
« L’acupuncture est une pseudo-médecine (…) ; (elle) ne s’est pas construite sur le savoir scientifique et ses fondements sont donc considérés comme relevant de la pseudo-science. Les travaux de chercheurs tendent à montrer que l’acupuncture n’a pas d’efficacité dépassant celle de l’effet placebo. ».
N’en déplaise à ces fâcheux, l’acupuncture médicale existe belle et bien, et son assise scientifique est considérable et prolifique, prouvant son efficacité dans de nombreux domaines.
La France est d’ailleurs un des premiers pays occidentaux à avoir établi des consultations hospitalières d’acupuncture (1932), à inscrire l’acupuncture dans la nomenclature des actes médicaux et à assurer son remboursement par la sécurité sociale (1948), à organiser dans les facultés de médecine un enseignement d’acupuncture sous la forme d’un diplôme inter-universitaire (1987) et d’une capacité de médecine (2007).
Toutefois, « cette » acupuncture est en France strictement réservée aux médecins, et n’est d’ailleurs pas considérée pour eux comme une spécialité mais comme une « orientation », qu’il est loisible de déclarer, sans aucun contrôle (Art. L.4161-1 du Code de Santé Publique).
Les médecins (et certaines professions assimilées) ont le loisir d’accéder en France au fonds du centre de documentation du GERA (Groupe d’Etudes et de Recherches en Acupuncture) et sa base de donnée comportant plus de 210.000 références, un répertoire des données probantes en acupuncture (faisant appel à la méthodologie de la médecine factuelle, l’Evidence-Based Medicine fondée sur une analyse des meilleures données disponibles dans la littérature médicale), indexant l’ensemble des Revues Systématiques publiées dans la littérature médicale et des Recommandation de Bonne Pratique nationales et internationales abordant la question de l’acupuncture.
L’accès à l’ensemble de ces données de recherche est réservé. Mais après tout, est-ce si important, pour nous acupuncteurs traditionnels ? Car si certains aspects de nos pratiques convergent, si certains de nos outils sont les mêmes, notre approche est fondamentalement différente.
L’approche traditionnelle se base avant toute chose sur la connaissance des classiques (tels que le Su Wen, le Ling Shu, le Nan Jing..), sur les recommandations, les mises en garde et les interdits qui y sont explicités, sur l’art de la prise de pouls telle que décrite dans le Mai Jing ou encore le Binhu Maixue, sur la transmission rigoureuse au sein d’écoles pouvant faire état de leurs « lignées » dans la transmission de l’art… Et cette transmission n’est pas à prendre à la légère : les textes chinois soulignent souvent que ce n’est qu’après l’âge de 60 ans qu’un praticien peut commencer à enrichir le corpus de la littérature en acupuncture recueilli sur plus de 2000 ans. Apparemment, il faut donc réfléchir sans relâche pendant 40 ans avant de commencer à se forger une idée sur ce que dit réellement toute cette littérature ! Dès lors, le choix d’une école en acupuncture traditionnelle, l’excellence des professeurs et l’identification de l’origine de leurs transmissions, sont des données cruciales.
Continuons maintenant à examiner quelques différences fondamentales entre les deux types de pratiques en acupuncture.
Le Ministère de la Santé et l’INSERM définissent l’acupuncture médicale comme « une discipline (…) consistant en une stimulation de points d’acupuncture à visée thérapeutique», tandis que la FAFORMEC (fédération regroupant les instances des médecins acupuncteurs) la décrit – de manière tout aussi laconique – comme « une intervention non médicamenteuse visant à obtenir un effet thérapeutique en stimulant des points précis du corps, généralement au moyen d’aiguilles métalliques stériles ».
On peut par la suite retrouver sur le site Légifrance le contenu des formations universitaires à destination des médecins, dans lesquels les troubles sont classés par « maladies » : maladies du système circulatoire, maladies respiratoires, maladies digestives, maladies neurologiques… Un médecin pourra également se former via des diplômes universitaires spécifiques tels que « acupuncture et douleurs », ou encore se former en 10 week-end aux « bases scientifiques et mécanismes d’action de l’Acupuncture » ! La logique semble assez claire : d’un côté, des pathologies catégorisées selon les critères de la médecine occidentale, et de l’autre, l’acte de poncture basé sur des « effets des points », tels qu’objectivés dans des conditions d’expérience reproductibles (« evidence based medecine »).
- Dans le temps court de ces formations « post graduate » à destination du personnel médical, trouvera-t-on le temps d’analyser et de tirer les conséquences de ce que rappelle le tout premier chapitre du Ling Shu (et qui parcourt tous les textes classiques), à savoir que « tout découle de l’activité de l’énergie du Shen » ? Y parlera-t-on de la profondeur de piqure à adapter selon les saisons (celles-ci étant basées sur le calendrier luni-solaire chinois) sous peine de créer des déséquilibres énergétiques tels que décrits dans le chapitre 16 du Su Wen ? Le corps taoïste décrit au chapitre 8 du même Su Wen, avec les multiples décryptages qu’il permet, l’étude des « entités viscérales » et des mouvements des souffles du chapitre 8 du Ling Shu seront-ils abordés ? Nous pourrions aisément multiplier les questions de ce type, en nous rappelant de la densité d’un cursus en acupuncture traditionnelle, nécessitant de rentrer de plein pied dans la cosmogonie chinoise, dans la compréhension profonde des cinq mouvements, des différents Qi, dans l’étude des Gan Zhi (les 10 troncs célestes et les 12 branches terrestres), dans l’étude des 8 vents, du symbolisme numérique, etc. !
- Bien entendu, il ne s’agit pas ici de dire que ces questions-là ne sauraient être approfondies par les médecins avides de connaissances : rappelons-nous les sommes de connaissances léguées par des acupuncteurs médecins tels que Jacques Lavier, Jean François Borsarello (et de nombreux autres), ou encore les exposés didactiques extrêmement complets du Dr Jean-Marc Kespi, président d’honneur de l’AFA !
- Il ne s’agit pas non plus de prétendre qu’une approche serait meilleure que l’autre : simplement, il est clair que le travail des praticiens n’est pas le même, que ce ne sont pas les mêmes connaissances qui sont mobilisées, et même, que les objectifs d’une séance d’acupuncture traditionnelle, et ceux d’une séance d’acupuncture médicale, ne sont pas les mêmes !
En 2014, un très important rapport de l’INSERM explicitait d’ailleurs l’approche fondamentalement différente de l’acupuncture traditionnelle, par rapport à l’acupuncture médicale française : « l’acupuncture traditionnelle élabore son raisonnement (…) thérapeutique sur une théorie holistique ; les maladies sont liées à une perturbation de l’équilibre énergétique. (…) (elle) est basée sur des concepts vitalistes. Un acupuncteur traditionnel ne pose pas un diagnostic médical traditionnel mais il élabore un rapport énergétique. Ce diagnostic énergétique comprend une anamnèse, une inspection et une palpation (y compris la prise du pouls, l’examen de la langue et un examen dit audio-olfactif ».
Cette approche postule également que seul un désordre organique et émotionnel permet le développement d’une maladie : si les Chinois ne nient pas les microbes, ils pensent que la première manière de s’en protéger est de conserver l’équilibre, seule vraie défense de l’organisme !
Et cet équilibre sera recherché via l’adaptation de l’être humain à son environnement au sens large, celui-ci incluant bien évidemment les paramètres de sa vie quotidienne, mais également les mouvements terrestres, les énergies célestes, les « six climats », le rapport entre le Ciel Antérieur et le Ciel Postérieur, etc. … Notre organisme est équilibré si « il est conforme au temps qui fait, et au temps qui passe ».
En somme, en conclusion (provisoire) de cet article, il est important de rappeler ceci : un acupuncteur traditionnel ne saurait usurper le titre de médecin, car il n’est pas cela ! Dans la pratique de notre art, il est fondamental de ne rien entreprendre qui dépasse nos compétences, et d’avoir l’intelligence de diriger nos consultants vers des personnes ayant d’autres aptitudes pour le bien physique, mental, individuel ou social de celui-ci. Les thérapeutes qui ont eu une formation sérieuse et prolongeant la pensée ancienne, ne cherchent aucunement à se substituer aux médecins ou aux spécialistes.
Les différentes pratiques ont leur place, chacune a ses objectifs, chacune a sa légitimité. Nous défendons notre acupuncture traditionnelle car elle ne sort pas du cadre strict des textes écrits il y a plus de deux mille ans, et qui ont reçu le qualificatif de Jing, marquant ainsi qu’ils sont la pierre angulaire du fonctionnement de l’acupuncture traditionnelle. Notre acupuncture s’est adaptée à la société d’aujourd’hui sans en avoir perdu les concepts fondamentaux subtilement édictés par le Taoïsme. Elle a sa place, à part entière dans l’éducation de l’esprit comme du corps.
Si le soin appartient aux médecins, la santé est affaire de tous !
A bientôt, pour continuer, au fil des articles à paraitre dans les publications du SYLAT, à expliciter les spécificités de l’acupuncture traditionnelle par rapport aux autres disciplines.
Et faisons vivre le débat et la discussion entre nous, continuons à progresser ensemble !
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